Après 18 mois de leur lancement, les banques participatives n’ont pas encore atteint leur vitesse de croisière. Le bilan reste mitigé, car elles n’ont pas réussi à drainer les montants mirobolants que les partisans de la finance islamique avançaient pour convaincre de la nécessité d’aller dans cette voie.
Finalement, après cette mise en route, ces banques n’ont réalisé que 52.000 comptes ouverts à fin octobre 2018, alors qu’elles tablaient sur des chiffres nettement supérieurs. Cette remarque n’exclut pas une progression constatée puisque les banques participatives autorisées à exercer dans ce créneau ont vu le nombre de comptes ouverts passer de 27.000 en décembre 2017 à 43.000 en juin dernier.
Ces statistiques sont fournies par Bank Al-Maghrib (BAM) qui a accordé son agrément à 5 établissements bancaires pour démarrer leurs activités dans le domaine de la finance islamique. Ainsi, en octobre dernier, le pays comptait 95 agences de banques participatives contre 82 en juin de la même année alors qu’à fin décembre 2017, on n’en dénombrait que 44 agences, y compris les fenêtres que certaines banques ont mises en place.
En fait, ce sont les banques à capitaux étrangers qui ont décidé de ne pas constituer de filiales dédiées pour se contenter d’ouvrir des fenêtres. La même tendance haussière a été enregistrée pour les dépôts à vue dont le montant a été de 570 millions de DH en décembre 2017 avant de progresser à 1,07 milliard de DH en juin 2018 et à 1,32 milliard de DH en octobre de la même année. Là encore, on est loin du rush, avec des volumes de plusieurs dizaines de milliards de DH, annoncé au début de cette expérience. Il est à préciser qu’il n’y a pas encore de dépôts d’investissement.
La lenteur se vérifie ailleurs également: le nombre de produits mis sur le marché n’est pas illimité, à l’exception de la Mourabaha immobilière et la Mourabaha automobile. Les financements sont allés vers ces deux offres. Ainsi, à peine 159 millions de DH en décembre 2017, ce montant a bondi à 2,18 milliards de DH en juin 2018 et à 3,61 milliards de DH en octobre de la même année. Mais c’est la Mourabaha immobilière qui s’est taillé la part du lion en ne laissant à la Mourabaha automobile que 300 millions de DH.
Pour des professionnels, ce qui a limité le champ d’action des banques participatives porte sur le retard de la mise en place de l’assurance et réassurance Takaful. Le projet de loi amendant le code des assurances et introduisant Takaful vient d’être adopté à l’unanimité par la Chambre des représentants. Le texte sera transféré à la Chambre des conseillers.
En tout cas, des clients ont déjà eu l’occasion d’exprimer leur déception vis-à-vis de ces banques qu’ils considèrent finalement comme leurs sœurs conventionnelles. Des critiques fusent pour affirmer qu’elles ont vu le jour comme participatives alors qu’en réalité, elles proposent un produit commercial.
D’autres relativisent cette critique en considérant que cette étape de découverte doit être perçue comme une porte d’entrée dans le domaine de l’économie islamique. L’avantage réside dans l’émergence d’une nouvelle culture. En effet, une partie de l’opinion publique a commencé à débattre des nouveaux concepts, étrangers jusque-là à la société marocaine, comme notamment le financement participatif, les Sukuk et l’assurance Takaful.
En fait, le retard à l’allumage s’explique surtout par la nécessité de valider les textes relatifs aux produits islamiques. Le Comité Charia, qui veille à la cohérence de ces textes avec les percepts de l’islam, se montre méticuleux. Il ne veut surtout pas donner son verdict, sans une analyse détaillée du Conseil supérieur des oulémas.
Ce gage religieux, ajouté au long processus de l’adoption parlementaire, pourraient impacter à court terme le développement rapide de cette activité. Mais sur le long terme, cette double garantie lui assure la sécurité juridique et religieuse.
Par ailleurs, cet avis mitigé n’est pas totalement partagé par les professionnels. En effet, pour Youssef Baghdadi, DG de Bank Assafa, filiale de Attijariwafa bank, «après 18 mois d’activité, les réalisations de ces banques sont très satisfaisantes malgré l’incomplétude de l’écosystème et l’offre limitée des produits et des services».
Pour lui, «le total des dépôts collectés s’explique en grande partie par la méconnaissance par le grand public de l’offre bancaire participative. On sent un certain attentisme même chez les clients convaincus des produits et services offerts par ces banques. Aujourd’hui, le défi réside dans l’éducation du marché en consentant un réel effort en matière de vulgarisation de la finance participative».
Pour les partisans des banques participatives, le développement se fera de manière progressive. Pour l’heure, la bancarisation s’inscrit en hausse. Actuellement, le seul produit de dépôts offert par les banques participatives porte sur les comptes à vue non rémunérés. Les contrats relatifs aux dépôts d’investissement sont en phase finale de validation par le Comité Charia de la finance participative (CCFP), relevant du Conseil supérieur des oulémas, rappelle le patron de Assafa Bank.
Vers de nouvelles niches
Certains banquiers sont tentés de «penser à la conquête de nouvelles niches, notamment celles des non bancarisées et des non bancables. Mais en l’absence d’outils et instruments financiers pour conquérir ces niches, nous attirons une clientèle qui a besoin des services bancaires de base et des clients à la recherche de financements répondant à leurs convictions et exigences», note Youssef El Baghdadi. Selon lui, la diversification attendue de l’offre bancaire devrait permettre un développement plus rapide. Car, aujourd’hui, il n’existe pratiquement que des produits Mourabaha et la possibilité de l’ouverture des comptes à vue. En parallèle, «notre marché manque à ce jour d’opportunité d’investissement dans des instruments financiers conformes à la Charia et validé par le Conseil supérieur des oulémas comme notamment les Sukuk, les OPCVM et les actions cotées. Pour l’heure, une seule émission de Sukuk a été réalisée. Il n’en reste pas moins que l’entrée en vigueur de l’assurance Takaful contribuera au renforcement de l’écosystème de la finance participative. Elle permettra, sans nul doute, de promouvoir davantage l’activité des banques participatives», indique-t-il.
Quelques chiffres….
- 52.000 comptes ouverts à fin octobre 2018 (43.000 en juin 2018 et 27.000 fin décembre 2017).
- 5 établissements bancaires agréés.
- 95 agences de banques participatives à fin octobre ( 82 en juin 2018 et 44 fin décembre 2017).
- 1, 32 milliard de DH de dépôts à vue à fin octobre
Source: BAM