A grands pas !

Des millions de Marocains ont débuté leur apprentissage du français avec ce livre. On y apprenait alors les rudiments de la langue de Molière avec des histoires à dormir debout savamment intitulées : «Chakib fait des bêtises» ou encore «Farid et le mouton». Lequel Farid, il faut le rappeler, a passé un trimestre de CE1 à tirer sa sœur qui tirait sa mère, laquelle tirait son époux qui tirait, à son tour, son propre père qui tirait enfin sur la corde attachée aux cornes du mouton. «Ils tirent, ils tirent… mais impossible de le faire sortir»…

Cet étirage à la chaîne, d’une inefficacité infantile, est un peu à l’image de cette inextricable réforme de l’Education nationale. Le secteur de l’enseignement est devenu un des moutons noirs des secteurs sociaux. Depuis ces Eighties, ministres, commissions spéciales et hauts conseils se sont relayés à la corde pour essayer d’élaborer une véritable réforme à même de déboucher sur le renouveau de l’école publique. Mais impossible de la faire sortir… d’accoucher d’un système éducatif qui ressuscite une école publique, sur les vestiges de laquelle ont fleuri des établissements privés hors de prix et des missions étrangères qui ouvrent comme des franchises.

De la spirale infernale qui a enfoncé notre école publique dans les abysses des plus mauvais systèmes éducatifs au monde, le Maroc n’arrive pas à s’en sortir depuis des décennies. Le Royaume occupe actuellement les derniers rangs du classement PISA (75e sur 79 au Programme international pour le suivi des acquis des élèves de l’OCDE) ou celui de TIMMS qui place les élèves marocains parmi le top 5 mondial des cancres en mathématiques et les champions planétaires des nuls en sciences.

Cet échec du système éducatif est une réalité, mais il n’est pas pour autant une fatalité. Chakib Benmoussa, qui doit sa collection de prestigieux diplômes à la rampe de lancement qu’a été l’école publique de son époque, en est conscient. Sa première rentrée des classes, le ministre de l’Education nationale l’a placée sous le signe de retour aux fondamentaux : calcul, lecture et activité physique pour tous, en plus de l’introduction de réforme de fond dans des classes pilotes.

Mais la clé de réussite de la future réforme repose sur une équation pas si évidente à résoudre même pour un X-Ponts-MIT : satisfaire un corps enseignant qui s’est paupérisé tout en investissant dans les établissements et les pédagogies d’apprentissage, alors que le budget de l’Education nationale a explosé.

A titre de repère, Taëb Chkili (ministre de l’Education nationale 1988– 1993) révélait dans les colonnes de ce même journal, en 1982, que son département tournait à raison de 40 millions de dirhams par jour (voir p.17); actuellement cet indicateur culmine à 140 millions de dirhams rien qu’en dépenses de personnel. Pourtant, les enseignants sont passés de notables respectés dans leur communauté à parias désargentés ayant du mal à joindre les deux bouts. Ils ont changé de classe… socioprofessionnelle.

Révolutionner le statut des enseignants est le premier pas dans ce long chemin que sera la réforme du système éducatif. Benmoussa cherche à l’harmoniser depuis les vacances de printemps, sans parvenir pour autant à réussir à faire valider sa copie de statut unifié, alors qu’il espérait réussir cette épreuve avant ce retour aux classes. C’est pour dire à quel point les tractations sont ardues. C’est à croire que chacun continue de tirer de son côté. Ils tirent, ils tirent, mais cette fois-ci, il va peut-être finir par sortir…

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