A l’origine de cette précipitation, la volonté du gouvernement de voir cette réforme prise en compte dans le Doing Business 2020. Pour cela, il a demandé, selon nos informations, à ce que la Banque mondiale retarde son évaluation du Maroc le temps que les deux projets de textes soient votés et publiés au Bulletin officiel.
Les deux projets ont d’ailleurs été examinés et adoptés à l’unanimité le 11 avril par la Commission des finances et des secteurs productifs de la Chambre des représentants. Le vote des deux projets de loi n’a nécessité qu’une seule séance de travail de quatre heures avec la participation de moins de la moitié des membres de la commission. Les députés présents n’ont rien changé aux deux textes. Même pas une virgule.
Le rapport final de la commission précise que les deux textes ont été votés tels que transmis par le gouvernement. Plusieurs enseignements doivent être tirés de la désinvolture des élus devant l’adoption d’une importante réforme comme une lettre à la poste.
D’abord le gouvernement s’arroge le pouvoir législatif et exécutif à la fois. Ce n’est pas parce qu’il met la pression aux élus qu’ils doivent voter les yeux fermés. Cela laisse supposer que la Chambre des conseillers ne dispose pas des compétences nécessaires pour examiner et améliorer les projets de loi qui leur sont soumis.
Dans ce cas, pourquoi ne fait-il pas appel à l’expertise externe comme le font certains groupes parlementaires? A moins que la Chambre des représentants n’ait renoncé à une partie de son contrôle du pouvoir exécutif.
Ensuite, le fait que les lois soient adoptées pour être intégrées dans la grille d’évaluation des organisations internationales et d’agences de notation indique que l’objectif n’est pas la réforme, mais de gagner des points dans les classements.
La même chose peut être dite au sujet des récentes réformes du Livre V, du droit de sûreté, de la création des entreprises par voie électronique… Ce n’est donc pas parce que le Maroc est mieux noté par rapport à l’année précédente que la situation s’est améliorée. La réalité du terrain est tout autre.
Du fait que le gouvernement a demandé un délai supplémentaire, la Banque mondiale a accordé à ses contributeurs (experts au Maroc tels que les avocats, les notaires, les conseillers juridiques…) un nouveau délai pour la remise de leur questionnaire jusqu’à fin avril.
Pour en revenir au projet de loi sur la SA, qui sera bientôt transféré à la Chambre des conseillers, il faut convenir qu’il apporte de nouvelles mesures, notamment celles destinées à protéger les actionnaires minoritaires, l’interdiction du cumul des fonctions de présidence du conseil d’administration et de direction générale dans le cas des sociétés anonymes à directoire et à conseil de surveillance faisant appel à l’épargne publique.
A souligner également «la soumission de la cession de plus de 50% des actifs de la société, durant une période de douze mois à l’autorisation préalable de l’assemblée générale extraordinaire au lieu de l’autorisation du conseil d’administration ou du conseil de surveillance», précise Kamal Habachi, avocat partner Bakouchi & Habachi HB Law Firm LLP. Autre nouvelle disposition, «la possibilité de désigner au sein du conseil d’administration un ou plusieurs administrateurs indépendants tout en se référant à l’interdiction de cumul des fonctions prévue par l’article 41 bis».
Pour plus de transparence, le texte introduit l’obligation d’indiquer dans le rapport de gestion les mandats des administrateurs dans d’autres conseils d’administration ou de surveillance ainsi que leurs emplois et fonctions principales.
La réforme de la loi sur la SA n’en est pas à son coup d’essai. Elle a déjà été revisitée et à chaque fois à doses homéopathiques. Le changement concernait notamment les sociétés cotées en Bourse, la simplification de la procédure de retrait provenant des souscriptions en numéraire, la dématérialisation du dépôt des états de synthèse et des rapports des commissaires au greffe du tribunal… La dernière réformette concernait l’interdiction des actions au porteur chez les sociétés non cotées.
Une disposition prise pour se conformer aux recommandations de l’OCDE sur les paradis fiscaux. Malgré ces multiples liftings, le législateur n’a pas profité de la réforme pour mieux ficeler certaines dispositions ou en introduire d’autres hautement importantes. Parmi les mesures qui auraient dû être amendées, celles concernant la séparation des fonctions de PDG et de DG.
■ Conflits d’intérêts: Le cas des conventions réglementées
Le projet de loi instaure de nouvelles règles en matière de conventions réglementées. Il s’agit des conventions présentant un conflit d’intérêts, signées entre la société et l’un de ses dirigeants ou l’un des actionnaires détenant au moins 5% du capital. Ainsi, «si une convention a été conclue sans avoir été autorisée par les organes de gouvernance ou si elle a porté préjudice à la société, elle peut demander, via les actionnaires minoritaires, réparation du préjudice. Chose qui existait dans la loi actuelle mais selon le droit commun», explique Me Kamal Habachi. Le bénéficiaire de la convention sera dans l’obligation de restituer, par ordonnance du tribunal, l’équivalent des profits de la fraude.
Dans de nombreuses structures, des membres du conseil d’administration créent des sociétés écrans qui offriront des prestations de services à leur société. Ce qui constitue des cas de conflit d’intérêts flagrants. «Le législateur aurait dû prévoir une disposition obligeant le commissaire aux comptes à signaler dans son rapport spécial qu’une convention réglementée a été conclue sans avoir été au préalable validée par le conseil d’administration ou si elle répond aux critères d’une convention signée dans un cadre normal», précise l’avocat d’affaires.
Une disposition censée faire du commissaire aux comptes un lanceur d’alerte et non pas un simple «facteur» entre le management et les actionnaires.
De nombreuses conventions réglementées sont signées entre des groupes et des filiales dans l’objectif de les charger. Un artifice qui permet de minorer l’impôt et d’augmenter les transferts de bénéfices déguisés et qui rentre dans le cadre des prix de transferts. Dans le même temps, la filiale ne sera jamais taxée ou faiblement imposée.
■ Cession d’actifs: beaucoup de zones d’ombre
Le projet de loi instaure, en cas de cession de plus de 50% des actifs de la société durant une période de 12 mois, l’obligation d’obtenir le feu vert préalable de l’assemblée générale extraordinaire au lieu de l’autorisation du conseil d’administration ou de surveillance. Une disposition jugée aberrante, qui ne manquera pas de paralyser de nombreuses sociétés. En effet, certaines sociétés, telles que les immobilières, ont pour activité routinière la vente de terrains. «L’ambiguïté de la rédaction de l’article fait qu’à chaque fois que ces sociétés voudront vendre des logements, elles devront provoquer une assemblée générale extraordinaire au lieu de confier la signature des compromis de vente à leurs commerciaux. Ce qui est lourd», prévient l’avocat. Les sociétés immobilières cotées pourraient être les plus pénalisées ainsi que les OPCI. Par ailleurs, le projet de loi ne précise pas la nature des actifs dont il est question. Le conseiller juridique suggère qu’il fallait préciser «actifs immobilisés» au lieu d’actifs inscrits dans le stock.
Dans le cas de la vente d’un bien immobilier, le rapport du conseil d’administration doit inclure une évaluation desdits biens, réalisée par un tiers indépendant et qualifié. Or, le projet de loi ne précise pas la nature de cet évaluateur indépendant. De plus, il n’existe pas au Maroc d’organisme certifiant les évaluateurs. La question qui reste posée est la suivante: est-ce que le commissaire aux comptes peut effectuer cette évaluation ou s’agit-il d’un cas de conflit d’intérêts? Faute de décret (non prévu par la loi), la question restera sans réponse. Par ailleurs, le recours à un évaluateur indépendant va engendrer des coûts pour la société. Pour éviter l’ambiguïté, il fallait préciser, selon des opérateurs, que les sociétés ayant pour objet la promotion immobilière étaient exclues de ce dispositif.
■ Ces obligations toujours non réglementées
«Si l’on prend les emprunts obligataires, validés par le régulateur du marché des capitaux, l’on trouve l’émission des obligations avec souscription d’actions, des obligations échangeables en actions ou convertibles en actions et des obligations subordonnées. Or la loi actuelle ne traite que des obligations ordinaires ou convertibles en actions. Les autres types d’obligations sont émis, mais ne sont pas expressément réglementés par la loi», rappelle Me Habachi. Par ailleurs, les actionnaires d’une société ont la possibilité de percevoir leur dividende annuel sous forme de cash ou d’actions. «Même si elle s’effectue régulièrement, la conversion en actions n’est pas explicitement prévue par la loi, mais comme cela n’est pas expressément interdit, c’est permis».
Le gouvernement aurait dû profiter de la réforme pour combler ces lacunes et intégrer tous ces dispositifs dans la loi sur les SA.
■ Mieux définir le mandat des commissaires aux comptes
La réforme de la loi sur la SA n’a pas été exploitée pour mieux définir la mission du commissaire aux comptes dans le sens d’une plus grande responsabilisation. Ce qui suppose la limitation des mandats, la fin des mandats de complaisance pour éviter un remake de Samir, la définition du périmètre de son action, l’instauration de garde-fous pour éviter des situations où le commissaire aux comptes devient non pas le contrôleur de la société, mais son conseiller…